Table Ronde N 1
Logistique, booster économique et social des territoires
Véritable acteur et promoteur de la dynamique sociale et économique française, la logistique participe à la fabrique de la ville. Qu’elle soit urbaine ou XXL, la plateforme logistique se projette comme l’usine du XXIe siècle, créatrice d’emplois, sur l’ensemble des territoires en France et en Europe Table ronde animée par Sophie Distel

Participants

Jean-Marc Zulesi

Député 8e circonscription des Bouches-du-Rhône Membre commission dév. durable et amén. territoire


Qui travaille aujourd’hui dans les entrepôts ?

Ludovic Bernini : Beaucoup de personnes : il y a bien sûr les manutentionnaires, mais aussi tous les emplois transport routier; nous observons également une montée en puissance des qualifications de différents métiers. Il est donc primordial de mettre en place des centres de formation, avec les pouvoirs publics, afin que nos clients, locataires de nos entrepôts, puissent avoir accès à un bassin d’emplois qualifiés.

Benoît Chappey : Il n’y a pas UNE logistique mais DES logistiqueS. Les besoins opérationnels d’un entrepôt à l’autre sont très différents. Est-ce que demain il y aura des bâtiments XXL ou des bâtiments XXS ? Les deux ! Et aussi des plateformes de taille moyenne, à rayonnement régional. Tous les formats cohabiteront. Car il y a besoin de cette variété de formats pour répondre à la variété des besoins. De la même façon, d’une plate- forme à l’autre, selon la logistique, il y aura plus ou moins d’emplois et une grande variété dans les profils : manutentionnaire, chef d’équipe, maintenance robotique, ressources humaines...

Thierry-René Murat : Je partage ce constat. La logistique répond à un besoin et s’y adapte. Ce n’est pas elle qui décide, mais la production et les consommateurs. La logistique s’adresse à toute la chaîne, de l’usine jusqu’au coeur de la ville, qui est le nouveau défi à relever, puisqu’il faut optimiser la livraison du dernier kilomètre, pour ne pas augmenter plus que nécessaire le trafic.

On entend de plus en plus le terme d’« usine du XXIe siècle » pour parler des entrepôts...

Benoît Chappey : Avant de parler d’usine du XXIe siècle, il y a un autre concept intermédiaire, encore un peu flou : le mot logistriel, mélange de « logistique » et d’« industriel », définit un immeuble logistique avec de l’automatisation, des robots, et beaucoup de main d’oeuvre. S’y déroulent de la réception de colis, de la préparation, de la reverse logistique, etc. Si l’usine est un site de grande dimension, avec beaucoup de salariés pour produire un bien... alors le schéma de logistique que je viens de décrire peut tout à fait être qualifié d’usine du XXIe siècle.

Est-ce que le critère, jusqu’alors prioritaire, de la localisation pourrait être supplanté par celui du bassin d’emploi ?

Ludovic Bernini : : Le premier critère reste et restera la localisation. En effet, quand on analyse les coûts dans la supply chain, 50% restent liés au transport. Donc la logistique devra toujours s’installer près des barycentres de consommation, pour limiter ce transport. Mais aujourd’hui, on peut placer le critère de l’emploi à ex-aequo. En Allemagne, ils résolvent l’équation en faisant venir les salariés sur les territoires bien placés pour optimiser le transport, et ont donc développé du résidentiel pour accueillir ces salariés.

En tant que représentants des pouvoirs publics, comment et pourquoi travailler sur la logistique ?

Jean-Marc Zulesi : Je cherche à accompagner des activités pourvoyeuses d’emplois, telle que la logistique, à s’implanter et à rester dans les Bouches-du-Rhône. Néanmoins, il faut pouvoir convaincre les concitoyens, et je vous encourage donc, vous, acteurs de la logistique, à ouvrir vos entrepôts, afin de montrer en quoi cette activité contribue à la dynamique d’un territoire et constitue un véritable outil de développement, tout en respectant l’environnement.

Jean-Michel Genestier : Nous sommes bien conscients qu’aller d’un point A à un point B est difficile quand on est dans une zone urbaine aussi dense que la métropole du Grand Paris . Nous avons donc mis en place le pacte pour une logistique urbaine, qui a pour but de faciliter le travail quotidien des logisticiens. Nous menons actuellement une expérimentation, qui va nous permettre de déterminer la bonne longueur des véhicules, les bons horaires, et d’autres éléments qui nous placeront dans un cercle vertueux. Plus de 90 acteurs ont été réunis pour cette expérimentation : des collectivités locales, des communes, des établissements publics territoriaux et également des logisticiens et des acteurs du transport, grâce notamment à Afilog.

Ludovic Bernini : Petite remarque néanmoins : les acteurs de l’immobilier logistique affrontent souvent une préemption des terrains par les maires pour une affectation à d’autres usages, même quand ces terrains accueillaient auparavant des activités industrielles. Or, si vous voulez de la logistique urbaine, il faut laisser les transporteurs et logisticiens entrer dans les villes, et donc ne pas préempter systématiquement.

«Il est important d’intégrer dans les organisations politiques, quelles qu’elles soient, des réserves pour la logistique.»

Jean-Michel Genestier, Maire du Rancy, Conseiller métropolitain de la Métropole du Grand Paris

Tout le monde a compris les enjeux de la logistique, tout le monde semble prêt à échanger voire à changer, et pourtant... Est-ce que le contexte vous semble favorable à la logistique ?

Marie Sacchet : Effectivement, la prise de conscience politique sur l’importance de la logistique, et notamment comme booster économique et social du territoire, semble avoir eu lieu. Les leviers et les outils réglementaires existent, comme par exemple le code de l’urbanisme, pour réserver du foncier, pour obliger les acteurs à de la mixité dans les destinations lorsqu’un projet est conçu. Mais on a parfois l’impression que ces outils ne sont pas, ou mal, utilisés... De plus, il y a une contradiction des discours : les visions globales macro-économiques étatiques qui imposent des contraintes extrêmement fortes, comme l’artificialisation zéro à échéance 2030, avec par ailleurs des délais d’instruction très longs, un empilement des normes, une multiplication des autorisations à obtenir... Tout cela rend les dossiers difficiles à porter et remet en cause la compétitivité française par rapport à nos voisins européens. On a donc besoin que ce dialogue se noue et devienne opérationnel, entre les instances nationales et locales, et les acteurs économiques.

En ce qui concerne l’artificialisation zéro, comment faire pour que les projets logistiques puissent quand même naître ?

Jean-Marc Zulesi : C’est un combat que je mène dans ma circonscription, en particulier sur une commune, où il y a quelques années, une raffinerie a fermé. Pendant 6 ans, nous avons cherché l’usine industrielle, créatrice d’emplois, qui viendrait remplacer cette activité... en vain. Quand un projet logistique se présente, il est refusé par les élus, du fait d’une méconnaissance de cette activité et de ses métiers. Mais les mentalités changent et le législateur doit s’interroger avec pragmatisme pour mieux accompagner ce secteur.

Jean-Michel Genestier : Il est important d’intégrer dans les organisations politiques, quelles qu’elles soient, des réserves pour la logistique. Tous les élus, de tous bords, ont des discours mais derrière, quand il y a un projet urbain, la priorité est donnée aux logements... Le schéma de cohérence territoriale (SCOT), voté par la Métropole, va inclure, y compris dans les zones urbaines denses, une réserve pour la logistique. Certes le foncier est onéreux et les élus ont du mal à lâcher ces mètres carrés, mais les PLUI devront intégrer un certain nombre de surfaces dédiées à cette activité.

Benoît Chappey : Si on parle de Paris, est-ce qu’il est possible de connaître les espaces disponibles et réservés à la logistique en zone urbaine et péri-urbaine ? Je ne crois pas que ce travail ait été mené. Par ailleurs, avec cet objectif de zéro artificialisation, la réhabilitation de friches industrielles semble être une solution parfaite. Mais l’acteur d’immobilier endosse un gros travail : il dépollue le site, il réhabilite le terrain, construit, crée de l’emploi... et il n’obtient pourtant aucun soutien, aucune incitation, alors que c’est dans l’intérêt de tous.

Ludovic Bernini : Si des fonciers étaient réservés à la logistique, on pourrait plus facilement aller vers la mutualisation du transport de marchandises. En effet, on pourrait imaginer des zones dans les villes, par arrondissement ou par quartier, où le transport de marchandises serait assumé par un seul acteur, pendant 5 ans, et qu’un nouvel appel d’offres serait lancé à nouveau à l’issu de ce délai. Comme dans le transport de personnes dans certaines villes. Mais pour cela, il faut réserver des fonciers à la logistique urbaine !

Jean-Michel Genestier : Cela fait effectivement partie des sujets sur lesquels nous travaillons, mais ce n’est pas toujours simple, du fait notamment des différentes autorités de transport. J’ai également souvenir que des espaces ont été réservés à la logistique urbaine, dans les gares, mais il faut réussir à parler à tous les acteurs et le rôle de la Métropole du Grand Paris est justement un rôle de fédérateur. Je vois aujourd’hui de véritables ouvertures.

Quid des projets mixtes ?

Marie Sacchet : Un texte du code de l’urbanisme permet d’imposer des coefficients de mixité de destination sur des zones particulières. Ainsi, pour la construction d’un immeuble de bureaux, par exemple, 10% à destination de la logistique, 10% à destination du logement, peuvent être décidés. Il existe également d’autres normes et réglementation, qui permettent de réserver des surfaces à destination des Cinaspic (« Constructions et Installations Nécessaires Aux Services Publics d’Intérêt Collectif »). Les PLU peuvent définir des zones urbaines à vocation tertiaire, logistique, ou d’habitat.., et ainsi limiter la spéculation d’autres acteurs, et donc faire baisser la pression foncière, handicap à la logistique urbaine. La boîte à outils juridiques existe

Quels seraient les autres éléments à mettre en place en faveur de l’activité logistique ?

Thierry-René Murat : Pour rassurer l’ensemble des acteurs, il faudrait un éclaircissement de la vision réglementaire, qui est aujourd’hui dans une dispersion absolue, avec des retours en arrière qui inquiètent la profession. On ne peut pas faire de l’artificialisation zéro en n’ayant pas le droit de faire des bâtiments grande hauteur. Certes, il y a eu de la bonne volonté de la part des gouvernements successifs, avec par exemple l’idée initiale de la déclaration environnementale unique... mais le résultat amène finalement une grande complexité. Par ailleurs, on en vient souvent à sanctionner l’ensemble d’une profession pour un acteur qui n’a pas respecté les règles On ne peut pas construire un bâtiment, qui nécessite une visibilité sur 30 ans, avec une telle instabilité juridique.

«Un texte du code de l’urbanisme permet d’imposer des coefficients de mixité de destination sur des zones particulières.»

Marie Sacchet, Avocat associé du cabinet Angle Droit