Monsieur le Député, vous travaillez sur le « Projet de loi d’orientation des mobilités » (LOM). Examiné en deuxième lecture la semaine dernière, le projet de loi a été rejeté par le Sénat dès le début, donc retour à l’Assemblée, qui aura le dernier mot...
Damien Pichereau : Le Sénat l’a rejeté pour aller plus vite. Dès la semaine prochaine, aura lieu dernier vote, pour que la promulgation de la loi se fasse avant le 25 décembre. Concernant le développement durable, on s’est posé beaucoup de questions sur la logistique. Nous avons pensé à un moment obliger les collectivités territoriales à réserver un certain nombre d’espaces pour la logistique.... Mais ce n’est pas la bonne solution, car cela n’aurait pas été forcément aux bons endroits. Le mieux est donc une incitation, pour garder la main tout en mettant en place une collaboration étroite avec les professionnels.
En janvier dernier, le Premier ministre vous a confié une mission afin d’analyser le développement du recours aux véhicules utilitaires légers (VUL) dans le transport routier de marchandises. Quelles sont vos principales préconisations en matières environnementales ?
Damien Pichereau : Plutôt que de raisonner sur les techniques (différentes énergies alternatives), je pense qu’il vaut mieux avoir une réflexion sur les systèmes et avoir une vision globale de la chaîne logistique. La question du véhicule reste évidemment importante. Le poids lourd, décrié par beaucoup d’élus, est pourtant plus pertinent dans une politique de massification que le VUL, mais il doit être le plus propre et le plus silencieux possible. Se pose également la question européenne : nous travaillons beaucoup à une mobilité qui soit plus équilibrée entre les pays, car cela a un impact direct sur les coûts de la livraison. Si les transporteurs gagnent plus d’argent, ils pourront mieux investir dans des véhicules.
Autre levier préconisé dans ce rapport, l’accélération du développement des filières alternatives, dont celle du GNV...
Damien Pichereau : La technologie GNV est prête. Il y a certes toujours un surcoût à l’achat des véhicules à motorisation alternative, de l’ordre de 30 à 50 % environ, par rapport à une motorisation classique, mais c’est en partie dû au faible nombre de véhicules vendus annuellement. Les pouvoirs publics ont la faculté d’impulser la transition énergétique en compensant – au moins en partie – ce surcoût, afin d’inciter les professionnels à s’orienter vers ces choix de motorisation. Je propose en effet au gouvernement d’étendre la mesure de suramortissement aux VUL roulant au GNV. Enfin, le GNV est une alternative mais elle n’est pas la seule et chaque énergie a son usage. Par exemple, sur le dernier kilomètre, l’électrique pourrait être plus adapté et il y aura sans doute d’autres innovations à étudier dans les années à venir.
On vient d’évoquer la LOM, quels en sont les principaux aspects environnementaux ?
Hervé Brulé : Les trois mots clés de la LOM sont : l’action au niveau des territoires, la digitalisation et la décarbonation. On voit que la logistique doit bien être prise en compte dans les PLU et les SCOT. Avec la LOM, on essaye également de déverrouiller la question des ports fluviaux, avec l’idée que l’on puisse avoir des facilités pour installer et développer l’intermodalité. La LOM est une première étape, qui s’inscrit dans une démarche plus large.
Le 16 septembre dernier, lors de la remise du rapport Hémar/Daher, le Premier Ministre a annoncé la mise en place d’un comité interministériel de la logistique visant à fédérer l’ensemble des acteurs sur le modèle des filières allemandes et néerlandaises. Pouvez-vous nous en dire plus et quels sont liens avec le développement durable ?
Hervé Brulé : Il y a deux choses différentes. Tout d’abord, le comité interministériel de la logistique définit la manière dont l’Etat s’organise pour prendre des décisions, sous la houlette du Premier Ministre, avec l’appui de différents ministres compétents. Mais cette action gouvernementale ne tourne pas à vide. Elle devra être alimentée par un échange avec la filière : il s’agit de France Logistique 2025, en cours de structuration, qui vise à unifier la voix de la filière dans toutes ses composantes. Il est important que la filière s’organise et fasse des propositions, pour nous permettre de prendre des décisions politiques et publiques qui vont bien. <br/></br> La logistique doit effectivement être un acteur de la transition écologique : avec des chaines logistiques compétitives, nos entreprises importatrices les utiliseront en priorité plutôt que de faire transiter leurs marchandises par les ports néerlandais et belge, augmentant d’autant leur bilan carbone. Mieux planifier le développement des zones logistiques est un autre enjeu. Les villes et régions de France ont besoin d’entrepôts pour leur économie mais l’implantation de ces entrepôts doit être pensée et rationnalisée, notamment en les intégrant dans les différents documents d’urbanisme. Le développement de flux massifiés sur ces axes logistiques est indispensable et doit être encouragé. Par ailleurs, outre le report modal vers le ferroviaire ou le fluvial, les pouvoirs publics et l’ensemble du secteur du transport logistique vont devoir s’engager rapidement dans un processus de décarbonation de leurs flottes de transport.
L’implication des professionnels de la logistique est importante. Marc Frappa, quelques mots sur Faubourg Promotion... ?
Marc Frappa : Faubourg Promotion est une filiale du Groupe Idec, opérateur immobilier global réunissant 18 sociétés spécialisées, intervenant en France et à l’international pour aménager, développer, financer, concevoir et construire tous types de bâtiments. Nous avons une quinzaine de parcs logistiques prévus en France. Le groupe compte aujourd’hui quelque 350 collaborateurs, avec un chiffre d’affaires de 400 000 € et 500 000 m2 réalisés en 2018.
Pouvez-vous présenter l’activité immobilière de Faubourg Promotion ?
Marc Frappa : Nous sommes promoteur, mais également aménageur. Nous développons des parcs d’activité multi-produits, comme à Valenton, aux portes de Paris, où nous avons développé sur près de 13 hectares des produits très différents : bureaux, entrepôts, locaux d’activité... avec 1 000 emplois créés. Notre matière première est évidemment le foncier. Assez naturellement, pour maîtriser ce dernier, nous intervenons le plus en amont possible, en sélectionnant les meilleurs emplacements possibles. Nous rendons ces terrains constructibles et notre rôle d’aménageur privé nous permet d’accompagner les collectivités locales, notamment financièrement, en investissant sur les territoires. En tant qu’aménageur, nous prenons aussi en charge les voieries et les dessertes, avant de passer à la phase de développement.
À Wissous, vous avez développé le premier parc logistique en Ile de France à être équipé équipé d’une station de Gaz...
Marc Frappa : En effet. Juste à côté des pistes d’Orly, nous développons 35 hectares. On s’est rendu compte que nos clients avaient une partie de leur flotte qui roulait au gaz. Il y avait un besoin pour leur ravitaillement, et nous avons donc eu l’idée d’une station commune à toutes les entreprises du parc, et qui sera également ouverte à d’autres entreprises hors du parc.
En tant qu’aménageur vous avez été labellisé « Eco Parc » à Cavaillon
Marc Frappa : Oui ! Le terrain sera bientôt constructible : 45 hectares, 146 000 mètres carrés à terme et 1500 à 2000 emplois prévus. On entre là dans le cadre de l’aménagement d’un terrain complet. Le département du Vaucluse demande à ce qu’on ait ce label et si nous l’obtenons, il nous aidera financièrement.
Continuons notre tour de table des exemples concrets en matière de développement durable. Roland Jégou, pouvez-vous nous décrire Eurovia ?
Roland Jégou : Eurovia est la filiale routière du groupe Vinci. Elle représente10 milliards de chiffre d’affaires dont 50% sont réalisés en France, avec un peu plus de 20 000 collaborateurs, et environ 150 implantations sur le territoire.
La particularité, c’est que vous faites 80% du chiffre d’affaires avec les collectivités et 20% avec le secteur privé...
Roland Jégou : Nous sommes en effet très ancrés localement ! Partenaires des territoires, Eurovia développe des solutions de mobilité pour améliorer la compétitivité économique et renforcer le lien social par la conception, la construction et l’entretien des infrastructures de transport et des aménagement urbains.
Vous investissez beaucoup sur l’innovation pour vos clients en particulier liée au développement durable avec cette nouvelle technologie : Power Road. Quelles en sont les applications ?
Roland Jégou : Procédé lancé en octobre 2017, Power Road s’appuie sur le principe du plancher chauffant. On récupère la chaleur solaire en été et on l’envoie en géothermie dans le sous-sol, ce qui nous permet de déphaser et de la récupérer en hiver. Il s’agit d’un procédé simple, avec un bon rendement. La route, sans dénaturer son usage premier, peut jouer un rôle nouveau dans la transition vers une économie décarbonée, en lui donnant une deuxième application. Et la logistique en est un bon exemple.
Vous avez un exemple?
Roland Jégou : Nous avons l’exemple d’un bâtiment dont le rez-de-chaussée pourra être chauffé par le procédé PowerRoad, grâce à un champ de sondes géothermiques verticales situées sous le parking attenant de 500 m2, avec une production de chaleur assurée par une pompe à chaleur. L’installation sera instrumentée pour récupérer et stocker l’ensemble des données provenant des échanges énergétiques entre les différents dispositifs et la production géothermique. Un dispositif de supervision et maintenance à distance sera installé pour interagir sur la régulation et les différents modes de fonctionnement de l’installation. On assure également le chauffage de 60 logements grâce à ce procédé. Power Road a été lauréat des 7e Green Solutions Awards en septembre dernier, un concours qui met en avant les solutions contribuant à la lutte contre le changement climatique.
Autre façon de soutenir la transition énergétique dans le secteur routier et de la logistique, les produits que vous mettez en œuvre sur une plateforme logistique sont recyclés à 50 ou 60%...
Roland Jégou : On est même capables de faire mieux, puisqu’on a réalisé un tronçon de l’autoroute A10, avec 100% de recyclé. Ce n’est pas ce que nous proposons pour vos plates- formes car cela nécessite des infrastructures pour le réaliser, mais cela démontre que nous maîtrisons complètement la technologie pour un recyclage à 50-60%.
Des innovations qui pourront peut-être être mises en place dans le groupe Casino ?
Thomas Ors : Je retiens cette idée séduisante ! En ce qui me concerne, j’accompagne l’équipe Casino sur le développement d’une plate-forme dernière génération, dédiée à la logistique e-commerce alimentaire. Conçu par le spécialiste britannique du supermarché en ligne Ocado, et doté d’une surface de 36 000 m2, cet entrepôt ultra-automatisé stockera 50 000 produits sous température ambiante et dirigée. Il se situera au sud de Paris, à Fleury Merogis, pour livrer le Grand Paris dans un premier temps, et ensuite, avec l’appui de plates-formes d’éclatement, la moitié Nord de la France. La robotisation de la plate-forme, avec des systèmes « goods- to-man » va nous permettre de proposer un service que nous ne pourrions pas fournir sinon. Et si la robotisation inquiète parfois, il faut savoir que l’installation fera appel à beaucoup d’emplois : au total, il y aura plus de 1 000 opérateurs logistiques, 1 700 chauffeurs avec près de 100 profils techniques pour gérer la robotique...
«Le poids lourd, décrié par beaucoup d’élus, est pourtant plus pertinent dans une politique de massification que le VUL, mais il doit être le plus propre et le plus silencieux possible. »
Damien Pichereau, Député de la 1ère circonscription de la Sarth
Quel est votre principal défi sur cette question environnementale ?
Thomas Ors : Nous avons la chance dans ce projet de partir d’une feuille blanche et donc de l’inscrire pleinement dans une vision RSE. Par exemple, pour les 700 véhicules que nous prévoyons, nous avons pu réfléchir à l’énergie que nous utiliserons. Il nous fallait trouver une solution, la plus vertueuse possible, exploitable au quotidien pour des livraisons à la fois urbaines et rurales, tout en maintenant une charge utile optimale. Notre choix devait également nous permettre de répondre à tous les durcissements futurs de la réglementation. Nous avons choisi le Bio-GNV, car il répond à tous les enjeux fixés et permet de décarbonner à 90%.
Comment ça se formalise ?
Thomas Ors : Le GNV est subventionné, ce qui lui donne une pertinence économique supplémentaire. L’Ademe a d’ailleurs produit un rapport montrant que la France peut prétendre à tendre vers l’autonomie énergétique en 2050 grâce au gaz, filière locale, durable et viable. Début 2020, le groupe Casino accompagnera l’ouverture à Fleury-Mérogis de son cyber-entrepôt par le déploiement d’une flotte de 90 VUL au GNC.
Face aux nouveaux modes de consommation qui induisent une augmentation des volumes de marchandises transportées, on parle de la politique du dernier kilomètre, mais vous, vous parlez plutôt de celles des derniers mètres...
Thomas Ors : : Dès que l’on sort de la massification, l’impact économique est fort. Il faut donc bien se préoccuper du dernier mètre et pas seulement du dernier kilomètre. Nos véhicules de 3,5 tonnes peuvent opérer seulement 90-95% de nos livraisons en hypercentre. Il faut donc adapter nos modes de livraison sur les derniers mètres, en s’appuyant sur des micro-hubs, des véhicules à mobilité douce, comme le vélo, le triporteur, les petits véhicules électriques, etc. Dans le cadre de notre démarche RSE, on parle de véhicules propres, mais aussi de bâtiments dernière génération, avec des panneaux photovoltaïques, de la récupération et de la revalorisation des sacs plastique utilisés dans la livraison à domicile.
Cécile Tricault, pouvez-vous nous dire quelques mots sur Prologis France?
Cécile Tricault : Prologis est un opérateur mondial, spécialisé en immobilier logistique. Notre spécificité est d’être à la fois gestionnaire, investisseur long terme, et développeur. Cette spécificité nous permet notamment de déployer les innovations développées dans les bâtiments neufs, sur le patrimoine existant. Nous travaillons ainsi dans une logique d’optimisation permanente. Nous accompagnons nos clients dans leur activité logistique, nous les aidons à réduire leurs coûts et à accroître leur efficacité grâce à des bâtiments de qualité, disponibles à la location ou développés sur-mesure dans des localisations stratégiques.
L’innovation et le développement durable semblent partie de l’ADN de l’entreprise...
Cécile Tricault : Nous avons énormément travaillé ces dernières années sur la qualité environnementale de nos entrepôts, qu’il s’agisse d’isolation, de chauffage, de stockage d’énergie, d’installation de panneaux solaires en toiture... Nous avons également développé une compétence sur la requalification des friches industrielles, pour lesquels on utilise les matériaux de démolition dans le pourcentage le plus élevé possible, pour construire... Pour la dimension sociétale, nous travaillons aussi sur la qualité des espaces de travail, et des produits eux-mêmes. L’objectif est bien de servir les intérêts de nos clients. Or, une de leurs plus importantes problématiques est de trouver de la main d’oeuvre de qualité et de la fidéliser. Notre travail est donc aussi de faire en sorte de les attirer et de les fidéliser.
Vous travaillez aussi sur des projets de récupération d’eau pluviale ?
Cécile Tricault : À Marly la Ville, nous avons mis en place ce système, qui permet d’être en autoconsommation et de ne pas rejeter dans les réseaux municipaux les eaux pluviales. Prologis contribue ainsi au désengorgement des réseaux d’assainissement de la collectivité et à la prévention de la perturbation du régime de réalimentation de la nappe phréatique. Cela permet à la ville de ne pas avoir à redimensionner son réseau collecteur pour accueillir l’activité logistique.
Vous avez un programme qui a été labellisé « Biodivercity »...
Cécile Tricault : Le projet de Marly-la- Ville, a reçu la note AAAB, soit le niveau de performance le plus élevé du label BiodiverCity. Le projet de Marly devient ainsi la première opération logistique à obtenir le niveau Excellent.
Comment réussissez-vous à gérer de manière efficace, voire efficiente, les consommations énergétiques de vos parcs ?
Cécile Tricault : Nous avons mis en place une innovation, EEGLE, dont la spécificité est d’être une solution BIM, couplée à un outil de gestion centralisé du bâtiment. À partir du dossier de conception et de construction de l’immeuble, EEGLE est capable d’utiliser différentes composantes pour en déduire les consommations énergétiques théoriques, qui seront comparées à celles, réelle, après une première année d’exploitation. Cela a la vertu de permettre de pouvoir immédiatement identifier les éventuels dysfonctionnements, avant de recevoir la facture. Le client peut également voir à travers cet outil les zones de son entrepôt qui sont plus ou moins occupées, et donc mettre en place une optimisation de son utilisation. EEGLE, enfin, permet de faire de la maintenance prédictive, qui représente une logique environnementale.
Comment envisagez-vous la logistique urbaine et ses problématiques ?
Cécile Tricault : Les municipalités ne veulent pas de poids lourds, pensant limiter ainsi la pollution... mais elles veulent en même temps moins de flux... Or, c’est peut-être contre-intuitif, mais en créant des espaces de regroupement des flux à l’entrée des villes, on limitera les flux à l’intérieur des villes.
«Les trois mots clés de la LOM sont : l’action au niveau des territoires, la digitalisation et la décarbonation. »
Hervé Brulé, Adjoint Directeur général des Infrastructures, des Transports et de la Mer - DGITM