Table Ronde N 3
Logistique, moteur de l’innovation
En moins d’un demi-siècle, l’entrepôt n’a cessé de muter, de s’adapter et de gagner en sophistication. Hier, il servait à stocker. Demain, tout à la fois automatisé, mécanisé, producteur de données, deviendra-t-il finalement l’usine du XXIe siècle ? Un débat prospectiviste sur l’avenir des actifs de l’immobilier logistique.

Participants

Michèle Vullien

Sénatrice du Rhône et Conseillère de la Métropole de Lyon


À quoi ressemblera la logistique dans 100 ans ?

Michèle Vullien : Dans 100 ans, j’espère surtout que les Hommes existeront encore. On épuise la planète et est-ce que la planète ne nous aura pas rejetés?

Marco Simonetti : J’ai du mal à projeter à 2 ans, alors 100... Peut-être aurons-nous des entrepôts volants pour aller avec la livraison par les airs...

Jonathan Sebbane : Entre fascination et angoisse, la logistique stimule l’imaginaire. Il y a 25 ans, Amazon, c’était 25 000 dollars. Aujourd’hui, il consacre l’équivalent du PIB de la Finlande à la R&D. La logistique est modelée par les modes de consommation et on arrive sans doute à une limite.

Jean-Pierre Madelaine, quelles sont les 5 grandes tendances que vous observez, en tant qu’architecte, dans la localisation et l’aspect des bâtiments?

Jean-Pierre Madelaine : Plutôt que de parler d’innovation, je parlerais plutôt d’évolution. Les bâtiments, dans leur taille et dans leur positionnement, se sont diversifiés. Des bâtiments de plus en plus gros sur certaines localisations, et de plus en plus petits lorsque l’on se rapproche du centre- ville. Deuxième tendance, les bâtiments se rapprochent du centre-ville du fait des modes de consommation, avec une réception à domicile à peine la commande passée. Troisième tendance, comme les bâtiments se rapprochent du centre ville, les terrains sont plus petits, et il faut donc optimiser en verticalisant. C’est notre champs de recherche et c’est là que se situe la véritable innovation. Autre tendance, le bâtiment devient logistriel, avec une prédominance des process, qui coûtent bien plus cher que le bâtiment lui- même. Enfin, nous observons, depuis 2 ans, une volonté des acteurs à réconcilier leurs projets avec le citoyen et les pouvoirs publics.

Et si on compare la France avec les métropoles des autres pays européens du sud ?

Marco Simonetti : Je m’occupe de l’Europe du Sud pour Segro, investisseur et développeur, qui travaille particulièrement sur la logistique urbaine. Je travaille sur différents pays et je vois donc différentes villes en Europe. Et le sujet de la logistique urbaine se retrouve partout en Europe, mais avec des maturités différentes d’une ville à l’autre. Paris, Londres, Madrid sont des villes avec des densité de population très importantes, et où ces enjeux sont donc très forts. Nous y avons ainsi beaucoup développé la verticalité, avec un immeuble logistique de deux étages à Gennevilliers, mais aussi en plein coeur de Paris, aux Gobelins, dans le 13e arrondissement, où nous avons travaillé sur la verticalité mais en descendant au sous-sol pour avoir 70 000 m2 au total. Bref, il y a des opportunités, mais il faut savoir les travailler.

«Entre fascination et angoisse, la logistique stimule l’imaginaire»

Jonathan Sebbane, Directeur général de Sogaris

Quelles sont les tendances de la logistique urbaine ? Est-ce qu’on peut imaginer un mixité des activités au sein d’un même bâtiment?

Jonthan Sebbane : Ce qui existe pour l’instant en ce qui concerne le partage des activités est au stade de l’expérimentation. La mixité est possible, bien que pas simple. On ne peut pas le faire partout. Mais la mixité est aussi un élément d’acceptation pour la population. Je voudrais néanmoins rappeler qu’il ne peut pas y avoir de logistique urbaine sans logistique, de logistique à l’intérieur de Paris, s’il n’y en a pas à l’extérieur de paris... La logistique urbaine vient apporter de nouvelles solutions à des problématiques de distribution de marchandises, dans des tissus urbains « Si cela s’intègre dans le paysage, il ne devrait y avoir aucun souci à la verticalité. » Michèle Vullien, Sénatrice du Rhône et Conseillère de la Métropole de Lyon denses. C’est le tissu logistique, qui va de Notre Dame jusqu’à l’A86. Il faut à la fois mailler et typologiser les actifs logistiques, pour s’adapter au mieux aux contraintes du terrain sur lequel on se positionne. La logistique urbaine répond à des enjeux de marché, mais aussi à des enjeux environnementaux.

Jean-Pierre Madelaine : Là encore le frein est réglementaire. La superposition d’un entrepôt avec un établissement recevant du public (ERP) est difficile, car il faut parvenir à faire correspondre l’ensemble des réglementations. Nous permettre de faire des expérimentations en ce sens, avec une simplification réglementaire notamment, serait bénéfique.

Marco Simonetti : On voit cette mixité s’installer progressivement. On le voit à Paris par exemple. Des petites surfaces de 500 à 1 000 m2 dédiées à des activités de déchargement et d’éclatement, et qui prennent place au rez-de-chaussée des immeubles, dans les parkings, dans des bureaux...

«Si cela s’intègre dans le paysage, il ne devrait y avoir aucun souci à la verticalité.»

Michèle Vullien, Sénatrice du Rhône et Conseillère de la Métropole de Lyon

Est-ce que l’esthétique des bâtiments elle aussi évolue ?

Jean-Pierre Madelaine : Nous travaillons effectivement avec nos clients sur un volet esthétique qui n’existait plus depuis longtemps. L’entrepôt était auparavant uniquement là pour abriter des marchandises et on essayait de le masquer au mieux avec de la végétation. Aujourd’hui, nous sommes dans une réflexion plus profonde, où l’on essaye de redonner de la qualité architecturale à ces bâtiments, pour mieux les intégrer et peut- être même de les rendre moins identifiables. Il y a également un retour de la volonté des investisseurs et de nos clients de se servir du bâtiment comme vecteur d’image, un étendard, permettant à tous de reconnaître par qui il est habité.

Revenons à la verticalisation des bâtiments. Que pouvez-vous nous en dire ?

Grégory Blouin : La verticalisation existe depuis longtemps dans d’autres pays, en Asie notamment. On a rien inventé, mais l’innovation est de faire en sorte que cela fonctionne et de le démontrer. Aujourd’hui, ce produit répond à une demande, celle des clients et aussi de l’artificalisation zéro. La verticalisation va dans le sens de l’histoire. Mais pour que cela marche, il faut de la conviction, de la patience et du courage. Pour exemple, le projet de Gennevilliers a mis plus de 5 ans à sortir. Il faut se battre avec l’administration, et faire évoluer la réglementation, qui a été écrite pour des bâtiments à plat et non en étage. La réglementation doit continuer d’évoluer, en cohérence avec la volonté de l’artificalisation zéro.

Michèle Vullien : Si cela s’intègre dans le paysage, il ne devrait y avoir aucun souci à la verticalité, pour une ville agréable à vivre et qui accepte l’ensemble des acteurs qui font cette ville. Mais la logistique est toujours le parent pauvre, la poussière que l’on pousse sous le tapis, pour ne pas la voir. Dans le même temps, on accorde des permis de construire parfois à tort, dans des zones à risque. D’autre part, la frénésie de livraisons pour disposer de sa marchandises tout de suite, demande des organisations logistiques proches de la contorsion. L’innovation, finalement, serait peut-être tout le monde retrouve un peu de bon sens et aussi qu’on réussisse à travailler ensemble, pour éviter des conflits d’usage.

Faut-il penser la ville de demain, en pensant d’abord à la logistique ?

Jonathan Sebbane : La logistique prend une part prépondérante dans le fonctionnement urbain, car la livraison, partie émergée de l’iceberg, devient un mode standard de consommation. 200 000 livraisons s’effectuent à Paris chaque jour et un million à New- York ! L’enjeu essentiel est donc de réussir à penser à la fois le fonctionnement logistique et le fonctionnement urbain. Une conviction très forte chez Sogaris est de penser la structuration d’une offre logistique en réseau, autour des villes, qui permet, toutes choses égales par ailleurs, de mieux organiser les flux, de diminuer l’impact environnemental et de réinvestir sur l’immobilier. Le desserrement logistique frappe bon nombre des grandes villes : sous la pression urbaine, les entrepôts s’éloignent, chaque année, depuis les années 1970. Or, ce phénomène est contradictoire avec l’accroissement des flux vers les zones les plus denses, et avec la contrainte, légitimement imposée, au transport de marchandises dans les grandes villes. C’est donc une responsabilité des acteurs publics, au sens large, et de nous tous, dans le positionnement des sites logistiques proches des villes.

Il existe d’autres solutions pour répondre aux différentes contraintes qui pèsent sur la logistique. On peut par exemple parler de la réhabilitation des friches ?

Marco Simonetti : En 2018 et 2019, 100% de notre développement s’est fait sur d’anciennes friches industrielles, que cela soit à Lyon ou à Paris. Je pense que dans les années à venir, nous procèderons toujours comme ça. Nous avons un rôle à jouer dans la société. Les sites que nous choisissons sont abandonnés, pollués, sur lesquels il n’y a plus d’emplois. Par exemple, à Aulnay-sous-Bois, sur l’ancienne usine PSA, nous avons dépollué, construit des bâtiments certifiés, aux dernières normes environnementales, et nous avons créé trois plus d’emplois à l’hectare que ce que l’usine abritait précédemment, lorsqu’elle était à plein régime. Mais aujourd’hui, il n’y a pas la réglementation qui nous permettrait de faire encore plus de réhabilitation de friches industrielles. Celle qui prévaut est la même que pour l’utilisation de friches agricoles, alors que ce n’est pas du tout la même chose.

Michèle Vullien : La réhabilitation des friches industrielles est une très bonne chose. Cela permet de ne pas utiliser de nouveaux mètres carrés. De plus, quand une activité s’en va, les quartiers alentours se paupérisent, le site doit par ailleurs être gardienné pour éviter l’installation de squats. Et il est parfois difficile de redonner à ces lieux un nouvel usage.

Grégory Blouin : La réhabilitation des friches va clairement dans le sens de l’histoire, et je pense que nous en ferons de plus en plus, mais il faut nous donner les armes pour y parvenir. C’est recréer de l’activité dans des zones souvent à l’abandon, apporter de l’emploi et recréer du lien localement...

Jonathan Sebbane : Je ne sais pas si l’innovation réside dans la capacité à aller travailler sur des friches. On est aujourd’hui dans un moment de grande bascule : la création de valeur se concentre désormais beaucoup sur la logistique, et donc, par un phénomène de vases communicants, le commerce souffre. La question qui nous est posée en réalité est de savoir si le regard qui se pose en ce moment sur l’immobilier logistique ne nous permettrait pas justement de faire de l’innovation, comme on en fait sur d’autres classes d’actifs, et donc d’aller plus loin. La logistique répond à des problématiques de société et cristallise aussi un certain nombre de difficultés, notamment sur la question environnementale.

«La réhabilitation des friches industrielles est une très bonne chose. Cela permet de ne pas utiliser de nouveaux mètres carrés.»

Michèle Vullien,

Si le BIM ne peut plus être aujourd’hui considéré comme une innovation, quelles sont les nouvelles utilisations ?

Jean-Pierre Madelaine : Le BIM s’est en effet généralisé ces dernières années. Il y a deux critères importants dans son utilisation : la maquette que nous avons établi dès la conception du projet doit pouvoir perdurer jusqu’aux systèmes qui vont permettre la maintenance du bâtiment. La deuxième chose est qu’il faut faire en sorte que la maquette BIM soit un outil collaboratif, avec un partage complet de l’information et une transférabilité complète d’un acteur à l’autre tout au long de la durée de vie du projet. Au-delà du BIM, nous sommes en train de développer avec un partenaire des visites virtuelles sur la base de la maquette BIM, pour visualiser un bâtiment sur un terrain avant même qu’il existe. Le BIM nous sert de support pour développer d’autres innovations et mieux se rendre compte de l’impact réel du projet.

Grégory Blouin : Nous utilisons cet outil pour montrer l’impact d’un bâtiment dans son environnement, notamment aux élus locaux. Marco Simonetti : C’est intéressant de pouvoir utiliser le BIM pour travailler sur la réalisation mais aussi l’exploitation du bâtiment. Il peut être mis à jour avec les nouveaux équipements de l’entrepôt, le client peut télécharger des informations qui concernent la maintenance, etc. Les bâtiments sont de plus en plus connectés. Vous parliez de convaincre les élus locaux en montrant le bâtiment dans son environnement. Est-ce qu’il faudrait plus encore plus verdir les bâtiments ?

Marco Simonetti : C’est intéressant de pouvoir utiliser le BIM pour travailler sur la réalisation mais aussi l’exploitation du bâtiment. Il peut être mis à jour avec les nouveaux équipements de l’entrepôt, le client peut télécharger des informations qui concernent la maintenance, etc. Les bâtiments sont de plus en plus connectés.

Vous parliez de convaincre les élus locaux en montrant le bâtiment dans son environnement. Est-ce qu’il faudrait plus encore plus verdir les bâtiments ?

Jonathan Sebbane : L’environnement, ce n’est pas que le verdissement. Il faut également penser à l’impact carbone et donc que l’immobilier favorise le développement des modes de transports alternatifs à la route. La multimodalité est un sujet qui va progresser, car la pression sur le transport routier ne va pas cesser de croître.

Marco Simonetti : Il y a une raison supplémentaire à travailler sur ces sujets : le consommateur regarde de plus en plus comment il veut être livré, en respectant le plus possible l’environnement. Il accepte même aujourd’hui de payer plus cher, et d’attendre plus longtemps pour recevoir son colis, si la solution utilisée est plus verte. Nos clients savent déjà, qu’un jour, ils n’auront plus le choix, pour répondre à la demande du consommateur.